Le bourdon et la thérapeute
J'ai été serveuse, animatrice, vendeuse, j'ai fait des ménages, j'ai enseigné l'art, la morale, la religion, j'ai programmé des séminaires, j’ai assisté des professeurs.
J'ai appris beaucoup. Et j'ai détesté chaque emploi dont j'ai eu la charge. Chaque boulot m’a donné le sentiment étouffant que mon temps de vie m'était volé. L’argent que je recevais en échange ne soulageait en rien cette impression sourde d'inutilité, d'être malgré moi prise dans une mauvaise plaisanterie, une farce cruelle et dépourvue de sens.
Dans l’espoir d’aller mieux, j'ai commencé une formation de thérapeute. Je ne pensais pas vraiment en faire ma profession.
Un jour, à la fin d'une journée de travail, j'étais assise dans le tram, la tête vide, lorsque j'ai perçu un mouvement inhabituel. C'était un bourdon qui volait entre les passagers. Certains, comme moi, ont vaguement levé la tête avant de retourner à leurs rêveries ou à leur écran. Une dizaine d'arrêts plus loin, le mouvement est réapparu dans le champ de ma conscience. L'insecte était toujours là. Juste en face de moi, il frappait la vitre, cherchant une issue, se fatiguait, s'élevait le long de la paroi pour retomber ensuite, s'épuisant sans résultat dans une danse pathétique. Je l'ai observé un long moment avant de réaliser l'évidence. Ce bourdon allait mourir.
Une grande tristesse m'a envahie. Une grande tristesse pour tous les êtres vivants qui s'épuisent jusqu'à la mort pour survivre dans un environnement qui n'est pas le leur. Alors je me suis levée. J'ai marché jusqu'au bourdon. Il s'est immédiatement hissé sur ma main. Ensemble, on a attendu l'arrêt suivant. Quand les portes se sont ouvertes, il s'est envolé.
En revenant à ma place, un homme m'a souri. J'ai été envahie d'une joie immense. Et tout mon corps a retrouvé sa cohérence.
Ce jour là, je suis devenue thérapeute.
A tous ceux qui veulent changer de voie: prenez des risque, osez devenir celles et ceux que vous êtes!
Et merci à tous les bourdons!
Mariane Mendels Flandre